MÉDIAS • En deux ans et demi, Tamedia et Ringier ont investi 840 millions de francs dans l’achat de sites internet commerciaux. Des affaires juteuses qui ne profiteront pas au journalisme.
Chercher une bonne affaire sur autoscout24.ch, vendre un meuble sur Anibis ou organiser un rendez-vous sur Doodle? Les sites de petites annonces en ligne et autres services cartonnent. Les géants de la presse suisse Tamedia et Ringier ont flairé la bonne affaire. Voilà pourquoi ils se sont lancés dans une acquisition effrénée de ces plateformes numériques pour environ 840 millions de francs en deux ans et demi, estime la NZZ.
La Suisse n’est pas faite pour les géants
A vouloir naviguer dans l’océan numérique, les entreprises de presse suisses ont-elles le tirant d’eau nécessaire? Notamment lorsqu’il s’agit d’affronter Google ou Yahoo? «Au travers du rendement des sites d’annonces d’emploi en ligne comme jobs.ch ou d’annonces immobilières tel homegate.ch, on voit que les leaders locaux ont résisté aux grands acteurs mondiaux», observe Tibère Adler. «Ce n’était pas forcément gagné au départ. Jobs.ch est le leader suisse incontesté de l’emploi en ligne. Mais la grande plateforme américaine monster.com, très présente sur de nombreux marchés internationaux, n’a jamais percé en Suisse.»
Il faut dire que la Suisse n’est pas un marché facile pour les géants. «Notre pays n’est pas un marché clé pour les grandes entreprises mondiales parce qu’il est petit et trilingue», affirme Tibère Adler. «Cela dit, si Google s’intéresse vraiment à votre marché et met le paquet, vous aurez des problèmes.»
Le marché des plateformes numériques exige aussi une grande sagacité. «A moyen terme, les plateformes rachetées par Tamedia et Ringier ne posent pas de problèmes parce qu’elles sont très rentables et leur modèle d’affaires est éprouvé», ajoute le patron romand d’Avenir Suisse. «Mais, dans les 5 à 10 ans, on ne sait pas s’il y aura d’autres innovations qui bouleverseront complètement le marché. Dans le domaine des offres d’emploi, des réseaux comme Linkedin pourraient devenir un des premiers prestataires d’emploi en ligne dans le monde.»
Impressum s’inquiète pour les journaux
La question se pose de plus en plus dans la profession. Qui va encore investir dans le journalisme? Dans une résolution, le syndicat Impressum vient de demander aux entreprises de médias que les bénéfices issus des activités numériques soient réinvestis dans le journalisme.
«Ce serait justifié économiquement, parce que les grandes maisons de médias utilisent aussi les gains provenant des médias journalistiques afin d’acheter les plateformes numériques comme ricardo.ch ou jobs.ch», fait remarquer le syndicat.
A cause de la forte rentabilité de l’e-commerce qui contraste avec la difficulté de trouver un modèle viable pour l’information print et online, le corps de métier historique de ces entreprises pourrait être remis en question. «Elles pourraient lâcher les activités journalistiques pour se consacrer à des activités plus rentables», conclut Xavier Studer, spécialiste multimédia. «Le risque est réel.»
Consultant et ancien membre de la direction de Tamedia, Kurt Zimmermann prédit quant à lui que les activités numériques représenteront pour Tamedia et Ringier dans quelques années entre 70 et 80% du chiffre d’affaires contre 30% aujourd’hui.